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Les stages sont-ils un tremplin à l’emploi ou un abus déguisé ?

Le stagiaire est une espèce de moins en moins rare sur le marché du travail. Au grand désespoir des jeunes, ce statut s’est imposé comme l’unique moyen d’espérer un jour atteindre le Graal: le monde professionnel.

Il fait désormais partie du paysage, on en connait les contours, les entreprises en redemandent mais difficile de savoir ce qui se cache derrière ce nouveau statut: celui de stagiaire. Selon l’Office fédéral de la statistique, en 2003 on en dénombrait 19’000 rémunérés en Suisse. Un effectif doublé en quinze ans pour atteindre les 49’000 stagiaires ayant perçu un salaire en 2018.

Pourtant, ces chiffres ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les stages sans rétribution et leur intérêt réel pour l’individu demeurent une zone grise sur le marché du travail. Qu’ils offrent un salaire ou non, on est en droit de se demander à qui ils profitent vraiment. Plutôt porte d’entrée vers le monde professionnel et opportunité d’étoffer son CV ou, à l’inverse, économie d’un salaire pour les employeurs et perte de temps pour le travailleur ? À moins que ce ne soit un peu des deux…

Un passage obligé mais payant

Profitable ou non, pour certaines personnes, la question ne se pose pas. Les étudiants de certaines filières sont notamment obligés, dans le cadre de leur cursus, d’effectuer au moins un stage en entreprise. Petite enfance, architecture, médecine…les exemples sont légions. «Ces expériences sont importantes pour démarrer une carrière. Les sociétés locales sont de plus en plus dépendantes d’employés bien formés», affirme Daniella Lützelschwab, responsable de ce secteur à l’Union patronale suisse.

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Une obligation utile mais qui donne lieu à des pratiques discutables. Le nombre d’étudiants ayant explosé ces dernières décennies, les places sont chères. A l’image du brevet d’avocat. «Pour s’inscrire à l’examen du Barreau, il faut selon les cantons, effectuer un stage de 18 ou 24 mois minimum dans un cabinet. Mais de plus en plus de pré-stages sont demandés pour obtenir une place», commente Albert Habib, avocat au Barreau. Bien que depuis 2016, des conditions cadres aient été instaurées, Albert Habib appelle à la réserve: «C’est avant tout au stagiaire de déceler les offres sérieuses de celles qui ne servent qu’à colmater le manque de personnel».

Autre domaine, même problématique: les étudiants en relations internationales. Un rapport publié en 2018 par la Fair Internship Initiative, fait état d’un statut précaire pour une bonne partie des stagiaires onusiens. La plupart de leurs activités n’étant apparemment pas rémunérées. Dans l’étude, la majorité (81%) des répondants déclare avoir eu un rôle essentiel dans la réalisation des objectifs de leur équipe alors qu’ils sont en «expérience d’apprentissage».

Mais malgré le prix à payer, ces stages sont rentables. Selon cette même étude, 76% des jeunes ont déclaré que leurs expériences les avaient aidés à progresser dans leur carrière. Le KOF, institut de recherche de l’École polytechnique fédérale de Zurich, a d’ailleurs examiné en décembre dernier l’apport d’un stage pour un jeune en formation. Les résultats démontrent que ces stages pratiques effectués durant les études, permettent d’accroître le revenu à court et à long terme.

Autre type de stage qui est lui aussi imposé à l’individu: le stage d’insertion des chômeurs. Parfois jugé abusif pour la mise à disposition de main-d’œuvre qualifiée et gratuite (payée par le chômage), il n’en reste pas moins salutaire. «Un chômeur de longue durée a besoin de pouvoir rebondir et de regagner la confiance qu’il aurait perdue tout au long du processus. Dès lors, le stage peut être un bon moyen pour se repositionner», constate Nathalie Brodard, fondatrice de Brodard Executive Search et de l’association «Hire Me I’m Fabulous» qui vient en aide aux demandeurs d’emploi. Un avis que partage Nicolas Ackermann, collaborateur du Service de l’économie et de l’emploi du canton du Jura: «De manière générale, pour obtenir des résultats de réinsertion, nous observons qu’il est préférable d’avoir une activité quotidienne plutôt que de rester chez soi.»

Finalement, la question du profit pour telle ou telle partie se pose davantage dans les cas des stages post-formation. Autrement dit, lorsque l’étudiant est diplômé et à la recherche de son premier emploi. «Etant donné qu’ils sont entre guillemets libres, il n’y a pas de réglementation légale. Mais si l’employeur utilise les compétences du stagiaire déjà formé sans le rémunérer, alors il y a clairement un abus», précise Christian Bruchez, avocat spécialiste du droit du travail.

Tout travail mérite salaire, dit-on. Malgré tout, «les compétences exigées dans les annonces sont souvent très élevées, type master ou plusieurs expériences au préalable, pour finalement ne pas être payé derrière», commente Mathias Reynard, conseiller national (PS/VS) et militant pour les droits des stagiaires. Avant d’ajouter: «De nos jours, on atteint toujours plus tard l’indépendance financière, c’est un réel problème.» De son côté, Hugues Sautière, chef de la section chômage à l’Etat de Fribourg, pense que ces stages sont gagnants-gagnants. «Tant que l’employeur n’abuse pas du système, c’est bénéfique pour tout le monde. Par exemple, nos stagiaires sont rémunérés, gagnent en compétences et jouissent de notre réseau d’entreprises qui les engagent par la suite», indique-t-il.

D’après le site d’annonces d’emploi, jobup.ch, parmi les 275’000 offres postées les 24 derniers mois sur leur plateforme, 2’289 étaient pour des stages. Une minorité donc, qui se concentrait dans certains secteurs, selon la représentante du site. Avec en pole position, le e-business/Internet, puis l’industrie graphique/médias/édition, suivie en quatrième position de la communication/marketing/RP/publicité. «Il s’agit d’une norme assez constante depuis 3-4 ans, liée à l’essor de l’industrie du digital qui forme beaucoup de jeunes diplômés et qui sature», assure Fanny Comba, porte-parole de jobup.ch. Pour elle, c’est un fait, il y a parfois de l’abus, «mais c’est également une réalité de terrain. Aujourd’hui, la demande d’emploi est supérieure à l’offre.»

Les entreprises ont le choix du roi

Une demande d’emploi foisonnante tandis que l’offre se retreint toujours plus. «C’est un marché devenu ultra concurrentiel et les employeurs ont conscience de cela. Ce sera le candidat le plus motivé qui l’emportera», décrit l’avocat Albert Habib. En effet, avec beaucoup d’appelés mais peu d’élus, le stage s’est peu à peu imposé comme le seul moyen d’accéder au marché du travail.

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«Cette situation se développe car les employeurs ont relevé les exigences pour un premier emploi. Niveau de formation élevé, années d’expériences requises, dorénavant les entreprises sont d’accord de prendre des jeunes mais ne jouent plus le jeu de la formation. Ils préfèrent appliquer des tarifs de sous-enchère», appuie Davide De Filippo, co-secrétaire général du SIT (syndicat interprofessionnel des travailleuses et travailleurs).

Des solutions encore en attente

Une situation anxiogène pour les jeunes diplômés mais qui ne connait pas d’avancée. Si ce n’est des mesures d’encouragement prises dans les divers cantons. Le politicien Mathias Reynard a tenté à plusieurs reprises de faire bouger les choses: «J’ai demandé une clarification des règles de stage, par exemple, avec un délai de cadence entre deux stagiaires. Pour l’instant, on obtient que des refus.» Une motion déposée en 2018 devrait être votée le mois prochain. «C’est encore laborieux et pourtant, cette problématique concerne de plus en plus de monde», ajoute le conseiller national.

Pour Davide De Filippo du SIT, une solution serait la généralisation des conventions collectives ou l’instauration d’un salaire minimum légal. «Ces stages se développent dans des secteurs non couverts par ces directives et frappent de plein fouet le tertiaire», confirme-t-il. Des faits corroborés par Nicolas Ackermann, du service de l’économie et de l’emploi du Jura: «Nous sommes un canton basé sur une économie industrielle, ce qui fait que nous ne connaissons guère cette problématique des stages.»

Au final, tout comme la tertiarisation, la sur-formation, la digitalisation et l’ultra concurrence, l’abondance de stage ne s’avère être qu’un des nombreux effets collatéraux du passage au 21esiècle. Des effets que nous n’avons pas vu venir mais qui se sont installés. Une chose est sûre: nous devrons nous adapter à ce marché du travail d’un nouveau genre…et non pas l’inverse.


 

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