Vie au travail
Augmentation du nombre de congés maladie en Allemagne : phénomène spécifique au pays ou tendance générale ?
L’Allemagne a connu un nombre important d’arrêts maladie durant l’année 2023, ce qui n’a pas été sans conséquence sur l’économie du pays. Les employeur·se·s cherchent désormais des solutions pour pousser leurs salarié·e·s à l’assiduité au sein des entreprises. Mais alors, quelle est la situation en Suisse et dans les autres pays ? Décryptage.
L’Allemagne, championne des arrêts maladies
Andreas Storm, directeur général de DAK-Gesundheit (compagnie d’assurance maladie allemande), avait déjà pointé du doigt le nombre élevé de congés maladie dans le pays en 2022, année durant laquelle ils avaient atteint un niveau record. Les employé·e·s allemands avaient effectivement pris beaucoup plus de jours d’arrêt de travail en moyenne (38 % de plus qu’en 2021, selon DAK).
Si l’Allemagne a toujours été dans les premiers pays en termes de dépenses consacrées aux congés maladies, l’année 2023 ne fait quant à elle que confirmer le surnom d’« homme malade de l’Europe » attribué à l’Allemagne à la fin des années 90, mais au sens littéral cette fois-ci. La VFA (association allemande des laboratoires orientés recherche) a effectivement révélé que le nombre de jours d’arrêts maladie a encore augmenté en 2023. S’ils étaient restés dans la moyenne, le PIB allemand aurait par ailleurs pu augmenter de 0,5 %, et c’est dans l’industrie que les conséquences sont les plus visibles, avec une perte de 10 milliards d’euros. Autre inquiétude : l’année 2024 pourrait atteindre de nouveaux records selon les caisses locales générales d’assurance maladie (AOK).
L’Office fédéral de la statistique a par ailleurs mis en avant l’année 2007, qui a connu un nombre bas de jours de congés maladie, avec en cause, la crainte de perdre son emploi ou encore la diminution du travail nuisible pour la santé. Mais alors, qu’est-ce qui pourrait expliquer la hausse des arrêts maladie de ces dernières années ? Selon TK (Techniker Krankenkasse), les maladies respiratoires qui ont bondi en 2022 (rhume, grippe, etc.) pourraient en partie permettre de mieux comprendre la situation, tout comme les maladies mentales, qui sont la deuxième cause d’absence au travail.
L’agence de presse américaine Bloomberg pointe quant à elle du doigt l’éthique du travail allemande, et l’assureur Pronova BKK n’est pas vraiment rassurant à ce sujet. En effet, selon l’une de ses études, près de 60 % des Allemand·e·s ont admis s’être déjà déclaré·e·s malades alors qu’iels étaient en capacité de travailler.
Comment les entreprises allemandes essayent-elles d’y remédier ?
Si pour certain·e·s, des moyens dans la santé devraient être mis en place pour réduire les vagues de maladies, les employeur·se·s allemande·s essaient quant à elleux de faire face à l’absentéisme en incitant leurs salarié·e·s à l’assiduité, comme c’est le cas de Tesla Inc.
Le cas de l’usine Tesla
L’usine Tesla, située à Grünheide, connaît une hausse importante des congés maladie (+ 17 % en août 2024). Celle-ci serait notamment due à la politique allemande généreuse en termes de congés maladie (pour rappel, les salarié·e·s ont droit au maintien de leur salaire complet pendant 6 semaines d’arrêt), selon le directeur André Thierig (pour le magazine Fortune). Il y aurait également plus d’arrêts le vendredi, ce qui l’a poussé à prendre une décision : rendre visite aux malades pour vérifier leur état de santé, mais les salarié·e·s n’ont bien évidemment pas toujours bien réagi. Si pour André Thierig, le nombre élevé de congés maladie est dû à une exploitation du système, pour Dirk Schulze, directeur de district pour IG Metall, il serait plutôt dû à des conditions de travail difficiles. En 2022, certain·e·s salarié·e·s pointaient quant à elleux du doigt un manque de motivation chez certain·e·s collaborateur·rice·s, qui résultait de la pénibilité du travail.
Plutôt que de punir ses salarié·e·s, Tesla cherche des moyens pour motiver ses employé·e·s, tels que des primes pouvant aller jusqu’à 1 000 euros, pour un taux de présence d’au moins 95 % (mesure testée en juillet 2024). Celles-ci pourraient inciter le personnel à prendre moins de congés maladie et à pallier le manque de main d’œuvre, mais elle ne semble pas complètement séduire. En effet, elle pourrait créer des inégalités entre les salarié·e·s en bonne santé et celleux qui sont atteint·e·s de maladies graves, mais pas que. Elle pourrait également multiplier le nombre de malades contaminé·e·s au sein de l’entreprise en cas d’infections virales. Une étude réalisée par l’université de Cologne (« When Bonuses Backfire: Evidence from the Workplace ») a par ailleurs révélé que ces primes pouvaient produire l’effet inverse (un taux d’absentéisme élevé), car être davantage payé·e pour venir travailler pourrait rendre plus acceptable le fait de ne pas venir travailler.
Quid des autres pays ?
Bien que le nombre de personnes reconnues comme atteintes de maladies professionnelles dans l’UE ait diminué entre 2013 et 2021, ce n’est pas le cas des arrêts maladies. La France connaît notamment une hausse (de leur nombre et de leur durée) qui coûte cher au pays : 17 milliards d’euros pour l’année 2024 (selon les estimations), alors que le budget de la Sécurité sociale en prévoyait 10,5 (ce qui peut être expliqué par l’inflation, mais pas totalement). Le phénomène reste moins important qu’en Allemagne, mais la France connaît un nombre assez important d’arrêts dans le public. Autre différence : ce sont les entreprises qui payent pour les congés maladie en Allemagne.
La France souhaiterait ainsi abaisser le plafond d’indemnisation, ainsi qu’étendre le délai de carence dans la fonction publique pour s’aligner sur les pratiques du privé. Les médecins de l’Assurance maladie vont quant à eux échanger avec les médecins généralistes ayant prescrit des arrêts importants. Le but ? Comparer leurs pratiques respectives, dans le but de rappeler les « bonnes règles » et d’ainsi réduire le nombre de prescriptions d’arrêts maladie inutiles. Si l’Allemagne et la France sont les pays qui déplorent le plus d’arrêts maladie, c’est entre autres parce que ce sont ceux qui indemnisent le plus, ce qui doit mener à plus de contrôles, mais pas uniquement. Chaque entreprise doit également analyser sa propre situation et plus particulièrement son type de management pour comprendre d’où viennent les arrêts maladie en grand nombre.
Petite nouveauté Outre-Atlantique : les congés maladie augmentent également aux États-Unis depuis la crise sanitaire, selon The Wall Street Journal. Avant 2020, les employé·e·s se sentaient coupables de se mettre en arrêt (même lorsqu’ils étaient très malades), notamment celleux qui avaient la possibilité de télétravailler. Selon plusieurs manager·use·s, la pandémie de Covid-19 ne serait pas la seule explication de cette hausse soudaine des congés maladie : les Américain·e·s pensent davantage à leur santé mentale et c’est notamment le cas des nouvelles générations (25-34 ans). Les entreprises sont d’ailleurs elles-mêmes moins réticentes à payer les congés maladie, car elles les perçoivent comme des leviers d’engagement et une manière d’aider leurs employé·e·s, qui seront plus productif·ve·s en retour.
État des lieux des arrêts de travail en Suisse
Sans surprise, la Suisse connaît également une nette hausse du nombre d’absences au travail, que celles-ci soient de longue ou de courte durée. En 2022, elles étaient 50 % plus nombreuses qu’en 2012 ! Cette augmentation concernait tous les secteurs et davantage les femmes, ainsi que les jeunes, selon l’OFS. Mais alors, comment l’expliquer ? La pandémie de Covid-19 peut encore une fois nous apporter des éléments de réponse. Toujours durant l’année 2022, les absences au travail causées par une maladie psychique ont augmenté de 20 % par rapport à 2021 et la moitié seraient de longue durée, selon une évaluation de PK Rück. Autres chiffres inquiétants : environ 50 % des cas seraient causés par des conflits sur le lieu de travail. Outre les coûts occasionnés par les arrêts de travail, les entreprises doivent également faire face au manque de main d’œuvre qualifiée et donc aux difficultés de remplacement des salarié·e·s qui ont des arrêts conséquents.
Les entreprises doivent donc être davantage à l’écoute de leurs collaborateur·rice·s afin de détecter les difficultés qu’iels peuvent rencontrer au travail (soucis d’adaptation, stress, épuisement émotionnel, conflits, etc.), mais également utiliser un système de gestion des absences afin de mettre en lumière des similitudes entre les causes des différents arrêts. Le but ? Les prévenir et promouvoir la santé. C’est d’ailleurs l’une des mesures prises par l’état de Genève pour lutter contre les nombreux arrêts maladie dans son administration, qui sont plus importants que dans les administrations des autres cantons.
Selon la RTS, certain·e·s employeur·se·s et assureur·se·s dénoncent également les certificats médicaux « de complaisance », qui sont des certificats qui s’obtiennent facilement, sans même souffrir de réels symptômes. Il reste cependant difficile de prouver les fraudes et les employeur·se·s se retrouvent parfois démuni·e·s face aux cas abusifs.
L’Allemagne subit donc une hausse importante du nombre d’arrêts maladie et l’année 2024 devrait encore atteindre de nouveaux records. Ce phénomène pèse lourd sur l’économie nationale, mais ce n’est pas le seul pays dans cette situation. Bien qu’il n’y ait pas vraiment de données probantes à ce sujet, cette tendance pourrait s’expliquer par la pandémie de Covid-19 qui a généré une augmentation des maladies, une plus grande préoccupation de la santé mentale, ainsi qu’une inquiétude sociétale plus marquée. Chaque pays possède également ses propres circonstances : pression au travail, vieillissement de la main d’œuvre, politiques d’indemnisation généreuses, etc. Les entreprises peuvent, par ailleurs, agir à leur propre niveau pour comprendre ce qu’il se passe en termes de congés maladie au sein de leur personnel et c’est d’ailleurs de cette manière qu’elles pourront mieux œuvrer en conséquence.
L’image de couverture a été créée à l’aide d’un outil d’intelligence artificielle.